Littérature ?

Essayer de comprendre un peu de la complexité du monde. Lutter contre les illusions, soulever le voile des apparences. Tenter de décrypter, de transmettre. Partager, en somme.

Si écrire fut d’abord une nécessité imposée par une certaine expérience de la douleur, je compris très vite que je ne pourrais me réaliser complètement que si j’obéissais au judicieux conseil de Deleuze en sachant « dépasser sa petite affaire personnelle ».

Que l’écriture, pour être partagée, devait se libérer du monologue de soi, de son monopole même : ce n’est qu’en établissant un dialogue avec les autres que je pourrais m’aider moi-même.

Si elle n’est pas généreuse, l’écriture ne sert qu’à soi, elle se résume à un exercice intime d’exploration personnelle, à un plaisir solitaire qui n’a cependant rien à voir avec la littérature telle que je l’envisage ; lorsqu’elle reste enfermée dans le petit cercle du nombril, l’écriture relève alors uniquement de l’analyse.

Je ne sais trop ce « qu’est » la littérature, mais je sens qu’elle ne saurait être (trop) égoïste.

J’éprouvais aussi le besoin de restituer un peu de ce que cette littérature m’avait tant donné. Je pense sincèrement que les livres m’ont sauvé, qu’ils m’ont élevé, qu’ils m’ont nourri. Les livres m’ont permis de respirer, de grandir, de me dépasser, de me réaliser.

Je me sens redevable de tous ces prédécesseurs, ces auteurs qui m’ont appris le monde et la vie, qui ont partagé avec moi leurs joies et leurs peines, leurs craintes et leurs espérances, leurs certitudes et leurs doutes et qui, pour me rendre plus libre, m’ont obligé à aller au-delà des apparences et des sensations personnelles, me contraignant à douter des vérités de verre et à ne jamais me satisfaire de l’acquis, du relatif et de l’éphémère. Qui ont trouvé un être résigné et l’ont rendu vivant.

La littérature, finalement, est l’école de notre libération.

« Restituer » impose donc de se faire un peu violence en dépassant ses envies immédiates. Il faut tenter de définir un projet. Aujourd’hui, le mien est assez simple : essayer à mon tour plaisamment, si possible de parler du monde de mon temps et des créatures singulières ces hommes errants qui le peuplent.

« L’essai romancé » me paraissait ainsi être le meilleur vecteur pour m’adresser à la majorité des lecteurs. Le roman, pour disposer de la dimension récréative du genre ; l’essai, pour justement dépasser les limites du divertissement, pour me donner la possibilité d’approfondir la réflexion sur les sujets traités en évitant, autant que faire se peut, la caricature inhérente à toute simplification excessive.

Bref, des « essais pour des gens qui n’en lisent jamais », comme le résumait une critique récente.

Je travaille ainsi en mode expérimental et ce travail d’exploration, de « passeur », malgré des difficultés inattendues et parfois décourageantes, se révèle finalement très gratifiant.

Avril 2012.