Ousmane Sow, le griot de la glaise

Ce fut un matin de 1999.

Un peu hagard, maugréant contre un printemps tardif qui refusait de réchauffer et d’éclairer les quais, je me promenai dans cette atmosphère blafarde des jours sans joie, fort dépité par ce véritable temps de suicidés.

Je descendis alors sur les berges, espérant que la Seine pourrait emporter ma mélancolie au rythme de ses eaux, aussi sombres que le ciel.

À hauteur du port des Tuileries, les yeux toujours plongés dans les viscères peu ragoûtants du fleuve, je tressaillis soudain lorsque mon regard croisa celui d’un Indien à l’agonie qui semblait submergé par le courant.

La surprise fut telle que je fis un grand bond en arrière, comme pour me protéger de cette fatale immersion et de ses conséquences tragiques : « Oh, non ! » pensai-je immédiatement, imaginant le pire.

Dos collé au mur, le souffle court, le cœur affolé, reprenant mes esprits, je cherchai le corps de ce visage lorsque je compris que j’avais été confondu par un simple reflet d’eau.

Je levai aussitôt la tête vers la passerelle des Arts qui me surplombait, au moment même où un jet de lumière vint trouer les épaisses nuées qui entouraient Paris.

Ousmane Sow - La bataille de little Bighorn - Détail

Cette vision provoqua un véritable choc, car, là-haut, sur cet arc de métal fragile tendu entre les deux rives de la capitale, se tenait en suspens l’être de ma frayeur, l’homme blessé, dont la souffrance était soudainement ambrée par les fragiles rayons du soleil hésitant.

Certes, l’Indien continuait à me fixer avec désarroi, mais il n’était plus seul. En vérité, des dizaines de géants aux pieds d’argile avaient envahi les planches du ponton et l’entouraient, le dépassaient, semblaient s’affairer entre le vide et les taillis de brume qui persistaient encore.

Ce ballet des ombres m’intrigua et fit cesser ma crainte. Des chants entêtants s’élevèrent alors du brouillard, suivi par les appels non moins lancinants de tam-tams. C’était une invitation à les rejoindre.

Hypnotisé par cette complainte des titans, mû par l’excitation de la curiosité, obéissant à cette puissante et éternelle magie de l’Art, je me décidai enfin à monter.

C’est ainsi que, pour la première fois, je pénétrai sur le territoire d’Ousmane Sow.

Ousmane Sow - Groupe de Peuhls - Passerelle des Arts, Paris, 1999

On ne dira jamais assez que le véritable talent d’un créateur réside dans la puissance évocatrice de ses œuvres.

Ousmane Sow ne transforme pas seulement la matière inerte en sculpture vivante, il écrit des épopées avec la glaise de l’Histoire et sait insuffler à ses compositions une vérité qui dépasse de loin ce que l’on appelle généralement « réalisme » ou « naturalisme ».

Ses œuvres sont universelles parce qu’elles sont d’abord immanentes, elles vivent d’elles-mêmes, par elles-mêmes, elles créent leur propre réalité.

Avec ses doigts de sorcier, Ousmane Sow ne cisèle pas seulement la complexité des êtres et des choses, des instants et des événements, des émotions et des sentiments, il sait extraire l’énergie vivifiante de la terre pour créer l’Homme à l’image de l’Homme, il arrive à extirper de l’inerte la mémoire essentielle du vivant, sait l’emprisonner pour mieux la libérer, la contraindre pour mieux la magnifier.

Et c’est pourquoi, sans doute, Ousmane Sow est l’un des rares plasticiens contemporains à donner vie et liberté, littéralement, à ses créations.

C’est pourquoi, aussi, le spectateur médusé ne regarde pas un objet d’art, mais contemple une œuvre authentique.

Emporté par ce tourbillon de la vie en mouvement, il découvre des créatures animées, il assiste aux transhumances et aux batailles, il partage les naissances et les morts, il saisit les joies et les larmes, il voit couler le lait et le sang, il entend les chants et les râles, il sent l’odeur de la savane et le souffre de la poudre, il se surprend même à transpirer sous l’effet des vents secs d’Afrique et d’une expérience artistique inédite.

John Marcus, 3 août 2012

« 3 millions d'admirateurs pour Le Griot de la Glaise »

« Trois millions de personnes ont admiré ses œuvres gigantesques, grandiloquentes et sensuelles, pétries de terre africaine. Les critiques d'art contemporain avaient beau s'étonner de cet engouement pour une œuvre figurative, décrier le « tapage » médiatique, les curieux ont continué d'affluer sur le pont, au point que certains se sont inquiétés de sa solidité. « Le pont des Arts est un événement qui est resté dans les mémoires, dans tous les pays : les gens m'en parlent comme si c'était hier, en se trompant de dates ou de pont de Paris, mais ils ont encore les yeux qui brillent », se félicite Ousmane Sow, surnommé « le griot de la glaise » par l'écrivain John Marcus. »

Véronique Lorelle, Le Monde, 10 décembre 2013

La série « Tribus & Guerriers »

Ousmane Sow - Couple à la scarification - Détail
Ousmane Sow - Groupe de lutteurs Nouba
Ousmane Sow - Couple de Lutteurs Nouba (détail)
Ousmane Sow - Couple de Lutteurs Nouba (détail)

La série « Bataille de Little Bighorn »

Qui, mieux qu’Ousmane Sow, pouvait rendre vivante la bataille de Little Bighorn, cette fresque épique, cette geste héroïque et désespérée, ce combat de résistance totale contre l’envahisseur ?

Car, au-delà des continents, de la diversité des ethnies et de leurs histoires, cette bataille entrée dans la légende, ultime grande victoire des Indiens d’Amérique du Nord, continue de fédérer les mémoires de tous les humiliés de la terre. Certes, en rappelant les injustices subies par les différents peuples assassinés ou mis en servitude, mais, aussi, en suscitant partout espoir et lutte contre la résignation ou l'oppression.

Little Bighorn est ainsi devenu le symbole des Hommes qui veulent rester debout.

En ce sens, l’âme indienne et l’âme noire partagent les mêmes démons, les mêmes souffrances, les mêmes regrets, les mêmes espérances.

Cette scène sculptée restera comme l'une des grandes œuvres du griot de la glaise.

Album-hommage sur l'exposition de 1999

Photos seules

Album avec textes

Interview illustrée

Ils en ont parlé

M Le Mag

Air France Madame

France 24

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