Libre chemin bibliographique

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du livre D'os, de sang et de douleur

Je reproduis ci-dessous la petite liste imprimée à la fin de mon roman sous le titre Libre chemin bibliographique.


Mes dettes aux auteurs et chercheurs sont beaucoup trop nombreuses pour pouvoir être honorées même partiellement. Je me bornerai à indiquer ici quelques repères qui me paraissent essentiels pour le lecteur curieux qui souhaiterait poursuivre son exploration des sujets de la folie effleurés dans le roman.

Pour disposer de jalons de départ assez solides, L’Histoire de la folie de Claude Quetel et la Nouvelle Histoire de la psychiatrie, sous la direction du même auteur, accompagné de son compère Jacques Postel, restent de solides balises chronologiques, d’une lecture fiable et agréable.

À tout seigneur, tout honneur : j’ai découvert Foucault très tard, tant l’ombre de sa statue m’impressionnait; son œuvre me paraissait tout simplement inaccessible. J’avais oublié que la grandeur d’un auteur se mesurait justement à sa capacité à savoir rendre son lecteur intelligent ou, du moins, à le lui laisser croire. Lire Foucault n’est pas simplement une absolue nécessité pour découvrir une pensée aussi libre que féconde, c’est un plaisir littéraire de tous les instants.

L’histoire de la psychiatrie ne serait presque rien sans son Histoire de la folie à l’âge classique, ouvrage qui fut tout à la fois un véritable détonateur médico-social et le point de départ de toute la recherche moderne. L’esprit des « Annales » imprègne ces pages fertiles qu’il faut prendre le temps de savourer. Ni l’historiographie ni l’épistémologie de la psychiatrie ne seraient ce qu’elles sont aujourd’hui sans ce chef-d’œuvre dont les thèses restent fortement controversées. De nos jours encore, beaucoup de travaux se positionnent en fonction des théories discutées dans ce livre fondateur.

Le lecteur qui serait également un acteur de santé devrait compléter cette lecture, si ce n’est déjà fait, par la non moins indispensable Naissance de la clinique.

On continuera le voyage avec La Pratique de l’esprit humain de Marcel Gauchet et Gladys Swain, et Dialogue avec l’insensé de cette dernière auteure, écrits majeurs, initiés comme des réponses (intelligentes) à Foucault.

L’histoire a évidemment une large part dans ma fiction. Pour l’Antiquité, impossible de faire l’économie de la « trilogie » de Jackie Pigeaud, dont le plaisir de lecture égale la somme d’érudition qu’elle contient. On s’introduira tout en douceur par Melancholia, on poursuivra le hors-d’œuvre avec Folie et cures de la folie chez les médecins de l’Antiquité gréco-romaine, avant d’aborder le copieux plat de résistance : La Maladie de l’âme.

Jackie Pigeaud est également traducteur et préfacier de certains auteurs classiques qui n’étaient pas médecins, notamment de L’Homme de génie et la mélancolie d’un pseudo-Aristote que je recommande de lire dans cette version (l’introduction est de grande qualité).

Une partie du corpus hippocratique est excellemment traduite et commentée par Jacques Jouanna, autre érudit qui est indispensable pour la bonne compréhension de la médecine antique, à qui je dois notamment mes informations les plus complètes sur les théories antiques des humeurs et des tempéraments, ainsi que la découverte du petit traité de médecine grecque inédit — Sur le pouls et le tempérament humain — attribué à un pseudo-Galien. Plusieurs articles de Jacques Jouanna sur ce traité sont disponibles gratuitement en ligne.

On se régalera aussi avec la traduction d’Yves Hersant du Sur le rire et la folie, attribué à un pseudo-Hippocrate, la fameuse histoire de la folie de Démocrite. Et c’est presque avec jubilation qu’on découvrira les réflexions de Galien au sujet De la bile noire, traduite par Vincent Barras, sur cette imposture incroyable qui dura quelques siècles !

En remontant le temps, La Folie au Moyen Âge de Muriel Laharie propose une réflexion brillante, transdisciplinaire, sur la perception et les représentations de la folie entre les XIe et XIIIe siècles. Les littéraires pourront compléter cette incursion par l’ouvrage de Huguette Legros, La folie dans la littérature médiévale, une étude sémantique solide (et passionnante).

Pour les lecteurs patients, qui aiment prendre le temps et qui souhaiteraient faire la jonction avec l’époque contemporaine en découvrant une œuvre foisonnante, source de nombreux plaisirs, la réédition d’Anatomie de la mélancolie de Rober Burton aux éditions José Corti se transformera sans doute en révélation (« un des dix livres à prendre avec soi sur une île déserte », dit-on).

L’histoire de l’aliénisme français est mieux racontée par des chercheurs étrangers, comme si le passé tumultueux de cette discipline effrayait encore nos historiens contemporains. La meilleure manière d’aborder cette période consiste d’abord à lire les grands textes des « pères » (surtout Pinel et Esquirol) : ils sont presque tous accessibles gratuitement sur Gallica ou dans d’autres bibliothèques numériques.

Le site du docteur Michel Caire est une porte d’entrée très sérieuse sur Internet concernant l’histoire moderne de la psychiatrie. Ce « webmestre » est également l’auteur de travaux de références, et d’articles inédits, sur Les Aquarelles de Sainte-Anne, par exemple, ou sur le fameux Jean-Baptiste Pussin dont la figure est évoquée également avec beaucoup d’empathie par Marie Didier dans son très beau roman Dans la Nuit de Bicêtre.

Deux très bonnes études sont conseillées pour entamer cette période psychiatrique : Consoler et Classifier de Jan Goldstein (indispensable !) ainsi que Comprendre et Soigner de Dora B. Weiner, dont les titres sont des références et des hommages directs, une fois encore, à l’œuvre de Foucault.

On pourra les compléter par les contributions de Jacques Postel réunies en Éléments pour une histoire de la psychiatrie occidentale ou, encore, sa Genèse de la psychiatrie, qui réunit des textes fondateurs très intéressants.

Pour rire (ou pleurer), on se réservera quelques Petits moments d’histoire de la psychiatrie en France, signés de Patrick Clervoy et Maurice Corcos. Quant à La Raison du plus fort de Bernard de Fréminville, édité en 1977, un livre tonifiant et militant qui contient également un « petit inventaire des moyens de thérapeutique ou de coercition physique », cet essai est devenu presque introuvable, tout comme L’Ordre psychiatrique de Robert Castel publié aux éditions de Minuit, ouvrage qui évoque si bien cet « âge d’or de l’aliénisme » et dont je recommande chaudement la lecture.

Chez les fous d’Albert Londres donnera au lecteur d’aujourd’hui un bon état des lieux sur les asiles français au début du XXe siècle.

Pour compléter cet inventaire, je conseille le livre récent de Mary de Young, Encyclopedia of Asylum Therapeutics (en anglais), qui permettra de prouver au lecteur (avec les ouvrages du XIXe siècle) que je n’ai strictement rien inventé concernant les sévices administrés aux malades !

Je me suis beaucoup inspiré des travaux de Götz Aly pour évoquer la triste opération Aktion T4 destinée à assassiner les enfants handicapés physiques et mentaux sous le régime nazi. Son ouvrage Les Anormaux, paru aux éditions Flammarion, est une synthèse poignante sur cet épisode glacial. De l’autre côté du Rhin, sur nos propres rives, L’Hécatombe des fous d’Isabelle Von Bueltzingsloewen est l’étude la plus sereine et la plus sérieuse sur la famine qui ravagea les asiles français sous l’Occupation.

Concernant l’histoire des neurosciences en général, de la neuropsychiatrie ou de la psychochirurgie en particulier, cela se gâte au niveau des lettres françaises : le révisionnisme ambiant fait gommer largement tous les épisodes « déplaisants », cette « histoire controversée », comme la nomme pudiquement Marc Lévêque dans le premier chapitre du seul ouvrage moderne disponible en langue française sur la psychochirurgie.

Pour l’historiographie française, la stimulation électrique profonde ne commence que dans les années 80, avec… un Français ! On peut s’étonner d’une telle réécriture de l’histoire, de la carence documentaire qui l’accompagne et de l’indisponibilité, à l’heure des possibilités numériques, d’ouvrages aussi essentiels que Naissance de la psychiatrie biologique de Jean-Noël Missa, par exemple, sur un autre aspect de ces thérapeutiques exotiques.

Pour le lecteur que ne rebute pas la langue de Shakespeare, le livre classique de Stanley Finger, Origins of neurosciences, ou celui d’Elliot S. Valenstein, Great and desperate Cures — que l’on peut trouver à prix abordable chez un libraire en ligne — sont de solides piliers.

Sur Internet, un article en deux parties de Miguel A. Faria, accessible gratuitement, offre un résumé introductif, assez honnête, de l’histoire de la psychochirurgie.

José Delgado est un des « personnages » importants de mon roman, mais c’est le grand absent de cette histoire officielle des neurosciences. Il n’existe pas de biographie réellement fiable sur Delgado (la plupart du temps, les notices sont à charge ou, au contraire, clairement hagiographiques). J’ai donc dû mener moi-même l’enquête. Beaucoup de ressources sur Delgado existent en ligne (dont la fameuse vidéo du taureau), mais la plupart doivent être abordées avec beaucoup de prudence, car les polémiques sont vives et les théoriciens du complot sont légion. Qui plus est, même des articles sérieux comme celui de John Horgan paru dans Scientific American en octobre 2005 (traduit et disponible en français) ou l’approche biographique la plus récente de Barry Blackwell comportent des erreurs fâcheuses. Par exemple, l’affirmation de l’internement de Delgado dans un « camp de concentration » après la victoire de Franco provient d’une déclaration de Delgado lui-même et n’est pas recoupée par les résultats de mes recherches.

Un certain nombre des articles scientifiques importants de Delgado sont disponibles via la base PubMed, mais je conseille au lecteur de se procurer plutôt son livre de vulgarisation, Physical Control of the Mind, traduit en français en 1972 sous le titre Le Conditionnement du cerveau et la liberté de l’esprit (aux éditions Dessart).

Une excellente contribution de Peter J. Snyder sur les relations de Delgado avec les médias et la véracité de l’expérience de Cordoue est publiée (en anglais, encore, hélas !) dans le livre Science and the Media, un ouvrage passionnant sur la construction du discours scientifique pour et par les médias.
































On pourra se reposer un peu de ces expériences douloureuses avec la lecture de L’Homme terminal de Michael Crichton, « roman » qui se base sur une expérience réelle menée par Delgado, Marks, Vernon et Frank. Concernant ces deux derniers « apôtres du totalitarisme psychiatrique » — l’expression est de l’infatigable Peter Breggin —, aucune ressource francophone intéressante n’est malheureusement disponible. Le lecteur comprenant l’anglais pourra se procurer un exemplaire encore disponible — à petit prix — de Violence and the Brain.

Pour faire un point général sur ce fameux « contrôle de l’esprit » et les différentes expériences menées sur des cobayes ou des humains, le livre Brain Control, écrit encore par Valenstein, offre un premier panorama.

Le lot de consolation pour le lecteur français sera le savoureux livre de Michael Hagner, Des cerveaux de génie, qui relate l’histoire incroyable de cette recherche millénaire destinée à localiser l’emplacement du génie dans le cerveau des personnalités jugées exceptionnelles. Cette quête, commencée par le pseudo-Aristote, continuée par le docteur Toulouse — dont les études sur Zola et Poincaré valent le détour —, continue toujours !

Autre personnage « invité » dans mon roman : Antonin Artaud. La littérature sur Artaud est illimitée. Mais les deux volumes d’Artaud et l’asile d’André Roumieux et Laurent Danchin publiés aux éditions Séguier contiennent des documents irremplaçables. L’article de Thierry Lefebvre sur le diagnostic d’hérédosyphilis dont l’artiste fut la victime m’a été très utile.

Un livre noir est au cœur de mon roman : le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (le fameux « DSM », Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders). L’ouvrage de base, pour une première et pertinente approche, reste celui de Christopher Lane, Comment la psychiatrie et l’industrie pharmaceutique ont médicalisé nos émotions. Le lecteur plus scientifique pourra compléter cette mise en bouche avec la version essai d’une thèse plus récente de Steeves Demazeu, Qu’est-ce que le DSM ? Genèse et transformations de la bible américaine de la psychiatrie.

Dans tous les cas, le pamphlet de Maurice Corcos, L’Homme selon le DSM, s’avère hautement recommandable. Il s’agit d’une solide réflexion épistémologique d’un grand professionnel sur la vision dominante et la pratique de la psychiatrie moderne, ses évolutions préoccupantes et ses dérives. L’auteur ne manque ni de hauteur, ni de verve, ni de formules ; il définit ainsi le DSM, à la page 56 :

« Un dictionnaire pour psychiatres commis voyageurs, édité par quelques évangélistes, un guide bleu religieux pour les égarés avides de normalité, dressant une typologie de paysages mentaux aussi faux que les bords de mer sur les cartes postales, installant une évaluation de la psyché éludant la fiction, l’inconscient et le fantasme, la pulsion et le sexuel, une façon adulte policée et moins enfantine/monstrueuse que celle de la psychanalyse de se raconter des histoires… »

Les sujets de la psychopharmacologie, des psychotropes et de Big Pharma plus largement, sont abondamment traités depuis des décennies. Quelques balises sortent néanmoins du flux commercial.

Le docteur David Healy a été l’un des premiers à tirer la sonnette d’alarme. L’approche historique contenue dans Le Temps des antidépresseurs reste irremplaçable et tous les médecins (notamment les généralistes qui sont les plus gros prescripteurs des spécialités psychotropes) devraient consulter impérativement son bréviaire Les Médicaments psychiatriques, paru plus récemment, avant de libeller leur ordonnance. Pour savoir ce qu’ils font vraiment…

Le premier éditeur français de David Healy aux éditions Les empêcheurs de penser en rond — quel joli nom pour une maison d’édition ! — fut Philippe Pignarre, ancien cadre de l’industrie pharmaceutique. Pignarre sait donc parfaitement de quoi il parle, ses ouvrages sont bien documentés, et on pourra consulter en première lecture deux essais devenus des classiques : Les Malheurs des psys ou Comment la dépression est devenue une épidémie.

Guy Hugnet, journaliste d’investigation, réalise également un bon travail de vulgarisation, par exemple avec son Antidépresseurs : mensonges sur ordonnance.

L’ouvrage de Jörg Blech, Les Inventeurs de maladies, servira à introduire celui du philosophe et historien Mikkel Borch-Jacobsen, La Fabrique des folies, dont la lecture est hautement recommandée. Borch-Jacobsen a par ailleurs dirigé l’ouvrage collectif le plus à jour sur l’industrie pharmaceutique, édité par Les Arènes : Big Pharma.

Il existe beaucoup de récits ou de témoignages sur les troubles mentaux, mais je ne résiste pas à citer une fois encore, notamment pour sa valeur littéraire, celui d’Andrew Solomon sur le sujet de la dépression, Le Diable intérieur, dont le sous-titre Anatomie de la dépression est un clin d’œil à la somme de Burton évoquée un peu plus haut. Le Diable intérieur n’est pas un simple témoignage, c’est une réflexion irremplaçable sur la « mélancolie ».

John Marcus, 2016.