Robert Owen
Les 3 x 8

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L'inventeur du socialisme

« Huit heures de travail, 8 heures de loisir, 8 heures de sommeil »

« Robert Owen n'est pas une figure banale. Grand capitaliste, il devient un grand réformateur socialiste : inventeur de système, il ne reste pas un théoricien de cabinet, mais n'hésite pas à risquer sa fortune pour mettre ses idées en pratique. »

Édouard Dolléans

Au chapitre 13 de L’Homme qui rêvait, tome 1, Aristote, l’un des enquêteurs de l’équipe du commissaire Delajoie arpente les rues de sa ville afin de se remettre des émotions d’un voyage aérien.


Au gré des plaques qui affichent les noms des rues, ce policier en profite pour méditer sur l’histoire du socialisme et ses différents mouvements.


C’est l’occasion de rappeler la figure emblématique de Robert Owen en évoquant rapidement les avancées décisives que cet entrepreneur gallois offrit au mouvement social.


Extrait

L’inventeur du socialisme moderne fut, paradoxalement, un patron, Robert Owen, un entrepreneur gallois paternaliste, philanthrope et audacieux qui avait essayé, avec quelques succès, d’organiser la vie ouvrière de la plus grande filature du Royaume-Uni autour d’un principe totalement révolutionnaire pour son époque : « Huit heures de travail, 8 heures de loisir, 8 heures de sommeil. »

Ce slogan allait devenir le leitmotiv des principales revendications ouvrières ultérieures.

Opposé au travail des enfants de moins de 10 ans, Owen avait même créé la première école primaire d’Angleterre et préconisé des lois pour instituer un système d’éducation nationale, un service public pour les chômeurs — avec indemnisation salariale — et une inspection du travail.

Owen contribua à améliorer considérablement les conditions de vie de beaucoup d’ouvriers anglais. Son usine devint une vitrine sociale célèbre dans toute l’Europe et visitée par les grands de ce monde. Intellectuels, aristocrates et princes de tous les pays discutaient de ses réformes et faisaient traduire les travaux de cet homme devenu un temps le plus populaire d’Europe.

Mais Owen le pragmatique était aussi un utopiste : il avait élaboré, en s’inspirant des méthodes mises en œuvre dans son usine modèle de New Lanark, un projet de société idéale, un monde :

« où le mensonge sous aucune forme n'aura plus de raison d'être, un monde où l'argent n'aura plus aucune influence, où la pauvreté et l'inhumanité seront inconnues ; un monde où tous les biens seront produits en abondance et où tous pourront jouir de cette abondance ; un monde où l'esclavage et la servitude n'existeront plus, mais où la plus grande liberté se conciliera avec l'union la plus étroite, union tissée par les liens puissants de l'intérêt et les fils de soie de l'amour. »

Ce monde du « bonheur universel » serait organisé autour de « villages d’harmonie et de coopération mutuelle », communautés en autarcie, dans lesquelles « l’égalité parfaite » des hommes et des femmes serait assurée par la mise en commun des biens, le partage du travail et de la production :

« Tous les membres de la communauté doivent être considérés comme ne formant qu’une seule famille et recevront sensiblement la même nourriture, le même habillement, la même éducation et seront logés dans des maisons à peu près semblables. »

Sur le plan théorique, rien n’avait été laissé au hasard pour bâtir ces nouvelles communautés, de l’architecture très précise des lieux — un parallélogramme dont les quatre murs étaient constitués de maisons individuelles confortables et dont les angles étaient aménagés par des écoles, des salles de conversation, des musées, des théâtres, des bibliothèques — jusqu’au programme d’éducation intellectuelle et physique des enfants.

Pour mener à bien ce premier projet de collectivité agraire autonome, il avait choisi une petite ville isolée dans l’Indiana, en Nouvelle-Angleterre, puis annoncé le lancement de cette colonie en mars 1825, devant la Chambre des représentants de Washington, en n’hésitant pas à la qualifier d’« expérience pour les gouvernements », susceptible de permettre une « régénération de l’espèce humaine ».

Le monde entier avait eu les yeux rivés sur la colonie de New Harmony.

Mais l’« universelle révolution » pacifique qu’avait promise Owen avait tourné court. Ses adeptes avaient néanmoins persévéré dans la création d’une nouvelle humanité : entre 1835 et 1845, cinq autres colonies oweniennes allaient être établies au Royaume-Uni.

Toutes se révélèrent des échecs cuisants même si Engels ne manqua pas de vanter les mérites de la dernière tentative — la colonie Harmony Hall à Queenswood — pour illustrer et justifier les vertus du mode de vie communiste.

Owen — ce réformateur insatiable — s’était déjà lancé de son côté dans d’autres combats : la création d’un marché national et équitable du travail, l’impulsion d’un vaste mouvement de coopératisme économique et une tentative de confédération nationale des organisations syndicales professionnelles.

Owen et ses expériences influencèrent durablement tous les courants de pensée du socialisme.

La seule biographie universitaire récente, en langue française [1], est malheureusement épuisée. L'Internet anglophone regorge de ressources sur Robert Owen mais j'ai trouvé utile de mettre, ci-dessous, à la disposition des lecteurs français, la biographie due à l'historien du mouvement ouvrier Édouard Dolléans.

Bien que datée, cette publication est une très bonne porte d'entrée.

« Le mot socialisme est une expression imprécise sous laquelle se heurtent des conceptions très variées et souvent même contradictoires.

Lorsqu'on interroge ceux qui se disent socialistes comme lorsqu'on étudie les ouvrages traitant du socialisme, on est étonné de se trouver non en présence d'une doctrine aux contours nettement arrêtés, mais en face d'un arc-en-ciel très nuancé de théories et d'affirmations divergentes.

Les uns parlent d'un socialisme d'Etat faisant appel à l'autorité du pouvoir central ; les autres d'un socialisme libertaire, faisant appel à la liberté ouvrière ; les uns se disent socialistes réformistes et les autres socialistes révolutionnaires.

Il y a un socialisme de lutte de classes, comme il y a un socialisme de paix sociale, un socialisme petit bourgeois comme un socialisme ouvrier : on prononce même le nom de socialisme libéral et, aux élections, tel candidat n'a pas craint de se présenter avec l'étiquette de « socialiste individualiste » sans croire le moins du monde que ces deux mots juraient d'être réunis fraternellement. »

Édouard Dolléans

[1] Serge Dupuis, Robert Owen, socialiste utopique, 1771-1858, Editions du CNRS, 1999