Silvio Gesell
Robinsonade

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Éradiquer l'intérêt financier

C’est dans un esprit de vulgarisation de l’économie que Silvio Gesell, dans son best-seller L’Ordre économique naturel,  imagina le fameux dialogue entre Robinson Crusoé et un étranger, saynète que John Maynard Keynes qualifiera comme l’une « des meilleures paraboles économiques que l’on ait écrites ».

Dans le chapitre 8 de L’Homme qui rêvait, tome 1, Aristote, Amanda Coron assiste pour les besoins de l’enquête à une représentation de Robinson et les désillusions au Théâtre de l’Opinion.


Il s’agit d’une courte pièce de théâtre adaptée de cette « Robinsonade » de Gesell, modernisée et complétée par mes soins.


Extrait intégral.

Au centre de la scène un homme s’affairait autour de grands sacs en toile de jute. La voix d’un narrateur se fit entendre sur fond d’océan et de cris de mouettes.

— Comme tout le monde le sait ou presque, Robinson Crusoé se retrouva un jour seul, échoué sur une île déserte. Il se mit donc au travail pour survivre. Il tua des bêtes, les dépeça de leur peau pour se vêtir. Il domestiqua des porcs sauvages et sala leur viande pour se nourrir. Il fabriqua des outils, défricha la forêt, bêcha la terre et ensemença ces champs pour y faire pousser des céréales. Il construisit des cabanes pour se loger et protéger biens et récoltes. Il travailla si efficacement que, au bout de quelques années seulement, il obtînt un surplus de sa production domestique. Si l’île avait été peuplée par d’autres hommes, Robinson aurait pu vendre ou échanger cet excédent contre d’autres biens ou même quelques menus services. Seulement, voilà : Robinson était toujours seul, perdu au milieu de l’océan et ses surplus ne pouvaient donc se transformer en marchandises. Robinson décida alors de conserver sa surproduction afin de se constituer des réserves en cas de revers de fortune. Il commença à les stocker dans ses cahutes. Robinson était fort satisfait, car ses provisions pourraient le nourrir pendant trois pleines années. Il commença donc à vivre dans l’abondance. Un jour cependant, alors qu’il venait de rentrer une nouvelle récolte et qu’il procédait au comptage des sacs qu’il s’apprêtait à ranger, il vit venir à lui un homme, entièrement nu et tout mouillé, un étranger qui l’interpella depuis la plage.

Un projecteur éclaira soudain un deuxième acteur, situé au pied de l’île. L’étranger se redressa et gagna le premier niveau du dispositif scénique. Il était vêtu d’un justaucorps de couleur chair qui le faisait paraître comme nu.

— Hé ! De l’île ! Hou, hou… Bonjour à toi, maître de ces lieux. Le naufrage de mon bateau m’a forcé à nager jusqu’ici. Et je risque d’y rester en attendant des jours meilleurs ou des secours.

— Bonjour étranger, je me nomme Robinson, te voici arrivé sur mon île !

L’acteur continua à avancer vers Robinson. Ce dernier le regardait avec une grande méfiance.

— Dis-moi, continua l’étranger, je suis dans la situation du démuni. Ne pourrais-tu pas me prêter quelques provisions que je vois autour de toi, jusqu’au jour où j’aurai moi-même défriché un champ, semé et moissonné ma première récolte ?

Robinson se précipita devant ses sacs pour les cacher au regard de l’étranger. Et il se mit à le fixer bizarrement. La voix du narrateur intervint une nouvelle fois.

— À ces mots, la pensée de Robinson s’envola. Avec quelle rapidité, mes amis, Robinson prit-il conscience de ses intérêts dans cette affaire, je ne saurai dire exactement. Mais, jetant un coup d’œil à ses réserves, il imagina aussitôt une totale vie de loisir, la splendeur d’une vie de rentier, percevant des intérêts infinis sur les produits qui abondaient. « Pourquoi continuerais-je à me tanner la peau sous le soleil, se dit-il, alors qu’un travailleur vient de m’être envoyé par la Providence ? »

— Assurément cela pourrait se faire, étranger, à condition toutefois…

— Charmant ! Je t’en sais fort gré, tu es un honnête homme. Mais je tiens à te prévenir : des intérêts sur ce que tu me prêteras, je ne peux en payer ; sinon je préfère me nourrir de chasse et de pêche. Ma religion m’interdit en effet tout autant de payer l’intérêt que d’en exiger moi-même.

Robinson sembla fort dépité.

— Ah bon… Tu as là une drôle de religion, en vérité, étranger. Mais… qu’est-ce qui te fait croire que je vais te prêter une part de mes provisions de trois ans, si tu ne me paies aucun supplément ?

— Ton égoïsme, Robinson, seulement ton égoïsme !

— Tiens donc, que me racontes-tu là ?

— En réfléchissant à ton intérêt bien compris, Robinson, car tu vas y gagner, et pas qu’un peu, mon ami. Tu m’en remercieras par-dessus le marché, et pendant des années.

— Certes, je constate que tu connais les paroles de miel qui bourdonnent si doucement à mes oreilles, mais méfie-toi, hein, car je sais très bien compter ! Et je ne vois aucun avantage, pour le moment, à te prêter gratuitement mes provisions.

— Bien. Je vais te le dire à présent.

— J’attends, j’attends…

— Ce dont j’ai le plus pressant besoin, c’est de vêtements, car, tu le vois à présent, je suis en costume d’Adam. Aurais-tu donc quelques habits à me prêter ?

— Ne te soucie pas de cela, cette grosse caisse est pleine à craquer des meilleures peaux de cerf de l’île.

— Allons, Robinson ! Dans une caisse fermée ?! Je te croyais plus prévoyant. A-t-on idée d’enfermer pour trois ans des vêtements dans une caisse ? La peau de cerf, c’est la nourriture de prédilection des mites, ne le sais-tu pas ? Et ces vêtements doivent être continuellement aérés, puis enduits de graisse, sans quoi ils racorniront.

— Tu as raison, en effet. Mais comment pourrais-je faire autrement ? Ils ne sont pas mieux préservés à l’extérieur ; au-dehors, les rongeurs viendront à la rescousse des mites.

— La belle affaire ! Les rats pénétreront tout aussi bien dans ce coffre. Regarde, ils ont déjà rongé en cet endroit.

— Bigre ! Tu as raison ! On ne sait vraiment pas comment se défaire de cette engeance.

— Tu ne sais donc comment te défendre contre les souris et tu m’affirmes que tu as appris à compter ?! Je vais te dire, Robinson, comment les gens de chez nous, qui sont dans la même situation que toi, se défendent contre les animaux nuisibles, mais aussi contre le dessèchement, l’effritement et la moisissure.

— Je t’en prie, instruis-moi donc.

— Prête-moi ces vêtements et, en contrepartie, je m’engage à t’en fabriquer de nouveaux dès que tu en éprouveras le besoin.

— Je n’en aurai donc plus la disposition ?

— Non, mais tu recevras autant d’habits que tu m’en auras prêtés ; et ces vêtements, parce qu’ils seront tout neufs, seront meilleurs que ceux rangés si longtemps dans une caisse. Ils ne pueront pas non plus la moufette, je te l’assure ! Veux-tu donc me les confier ?

— Certes, étranger, je te cède la pleine caisse, c’est assurément dans mon intérêt de te la prêter sans intérêts.

— Bien. Maintenant, Robinson, montre-moi ton froment. J’en ai besoin autant pour semer les champs que pour cuire du bon pain.

— C’est-à-dire que je l’ai enterré là-haut, sur la colline, pour le mettre bien à l’abri.

— Parbleu, Robinson !? Courons-y vite !

Les deux acteurs escaladèrent un praticable, l’étranger suivant Robinson de très près, dans un jeu de pantomime qui fit rire le public. Arrivés au sommet de la colline, complètement essoufflés, ils s’appuyèrent l’un sur l’autre.

— Tu as vraiment enfoui ton froment dans cette terre, pour trois années, Robinson ? Et la vermine ? Et les larves ?

Y as-tu songé !?

— Je le conçois bien, mais que faire d’autre ? J’ai étudié le problème sous toutes les coutures et je n’ai trouvé meilleur moyen de conservation.

— Penche-toi un peu, Robinson ! Regarde ! Ici, vois-tu les petits scarabées qui se promènent à la surface ? Là, les vers qui ont déjà commencé à moudre ton grain… Et encore à cet endroit, observes-tu la chancissure ? Il est grand temps de déterrer ton froment et de bien l’aérer, faute de le gâter tout entier.

— Il y a vraiment de quoi désespérer à détenir du capital ! Ah ! Si seulement je connaissais un moyen de me défendre contre ces mille forces de destruction que la nature oppose à mon travail et à ma persévérance !

— Allez, ne t’en fais pas, mon ami. Je t’aime bien, je vais donc te dire comment on s’y prend chez nous. Nous construisons une grange bien sèche et ventilée, pour étendre le blé frais sur les lattes d’un bon plancher. Toutes les trois semaines, régulièrement, nous l’aérons soigneusement en le retournant entièrement. Puis, nous gardons quelques chats et disposons des pièges pour faire la guerre aux rongeurs. Nous assurons aussi la marchandise contre l’incendie ou les intempéries. Ainsi nous perdons peu de la valeur de la récolte, à peine plus de 10 % par an.

Robinson fit mine de suffoquer.

— Dix pour cent ! Tu parles d’un remède, étranger ! Quel travail et quels frais ! Tout ça pour, en plus, avoir un stock qui vaudrait moins cher !

— Bah, prête-moi simplement une part de ta provision de froment, Robinson. Je te réglerai cette avance avec du blé bien frais en retour, issu de mes propres moissons. Entend bien ce que je te dis là, je te restituerai kilo rendu pour kilo prêté, sac pour sac, au moindre grain près. Ainsi, tu t’épargneras cette peine de bâtir une grange immense, d’élever des chats et tu n’auras aucune perte de poids. Tu pétriras et cuiras un pain toujours frais et succulent grâce aux nouveaux grains que je te fournirai. Plus de tracas et ta richesse sera ainsi conservée, elle ne se dépréciera pas. Cela te convient-il ?

— Absolument ! Tu me sauves et c’est avec la plus grande des joies que j’accepte ta proposition, étranger.

— Nous sommes bien d’accord, hein, Robinson ? Tu me prêtes le blé sans intérêts ?

— Et avec mes plus vifs remerciements, en plus ! Prends donc tout !

L’étranger hésita.

— Robinson, je ne puis en utiliser qu’une partie seulement, je ne peux t’emprunter ta réserve entière.

— Ah bon… C’est ennuyeux ce que tu me dis là.








































Robinson commença à tourner en rond autour des sacs, visiblement soucieux, jusqu’au moment où il se mit à faire des petits bonds de joie.

— Eurêka ! Si je te l’offrais toute ma réserve, étranger, en stipulant bien que contre dix sacs prêtés, tu ne m’en devras plus que neuf seulement à l’arrivée ? Neuf contre dix, hein ? Qu’en dis-tu, ce n’est pas une grande idée ça ? Et une bonne affaire pour nous deux ?

L’étranger fit mine de réfléchir longuement.

— Non, non, Robinson, je te remercie sincèrement. Mais ce que tu me proposes s’appelle de l’usure : à la vérité, non point de l’intérêt positif, mais de l’intérêt négatif même. C’est tout à fait contre nature et absolument opposé à mes convictions qui condamnent l’usure, dans un sens comme dans l’autre.

— Ne voudrais-tu pas quand même étranger, et par humanité, me rendre à ton tour ce service ?

— Je te vois fort embarrassé avec cet excédent de blé. Voici ce que je peux faire pour te plaire, Robinson : je prends sous ma garde toute ta provision de froment, c’est entendu. Je bâtis aussi la grange et je m’occupe de tout le nécessaire dont je t’ai parlé, les chats, les pièges, l’assurance et le reste. Dans ce cas, tu me payeras deux sacs pour tes dix prêtés, non plus comme intérêts, mais comme la juste rétribution de ce travail que je vais effectuer à ta place. Es-tu d’accord ?

— Pourquoi m’embrouilles-tu ainsi, étranger ? Cela m’est bien égal ta manière de comptabiliser, sous la forme d’« intérêts » ou encore de « salaire ». L’important c’est que pour dix sacs, tu m’en rendras huit, c’est plus simple pour moi de l’entendre ainsi. L’affaire est donc conclue.

— J’en suis ravi. Mais j’ai encore besoin d’autre chose, Robinson : d’une charrue, d’un chariot et de plusieurs outils. Me prêterais-tu ces moyens de production, également sans intérêts ? Je m’engage bien sûr à te restituer le tout dans le même état d’origine : pour une bêche neuve, une autre bêche neuve ; pour une chaîne neuve, une chaîne graissée et sans aucune rouille, il va sans dire.

— Tu es un devin, étranger ! J’y songeai justement à l’instant. Toutes ces choses que tu demandes depuis ton arrivée me causent en vérité le plus grand souci. Il y a quelques jours, la rivière a débordé, inondant la cabane où je range l’outillage et le couvrant de boue. Ensuite, la tempête a fait rage, elle a crevé le toit de l’abri aux fruits et la pluie a fini par les rendre blets. Actuellement le temps est sec, le vent pousse la poussière et le sable dans les habitations, c’est un vrai désastre pour les provisions. Bref, la rouille, la putréfaction, le bris, la sécheresse, la lumière, l’obscurité, la vermine, les termites, tout travaille sans relâche contre mon travail à moi et ce capital que j’ai durement gagné. Et encore ! Heureusement qu’il n’y a pas de brigands sur cette île, ni d’incendiaires. Alors, tu peux le constater : je me réjouis de pouvoir désormais conserver mes biens en bon état et sans un trop lourd labeur, grâce à ces prêts que je te consens.

— Reconnais-tu maintenant l’avantage, comme je te le disais au début de notre discussion, que tu trouves à me prêter tous tes biens sans percevoir le moindre intérêt ?

— J’en conviens, bien volontiers, étranger. Mais je reste intrigué quand même. Pourquoi donc, dans le pays d’où je viens, les prêteurs exigent-ils toujours le paiement d’un intérêt ?

— Ah, la vieille et éternelle affaire que voici ! L’unique raison, Robinson, la seule cause de cette absurdité, tu dois la chercher dans l’argent lui-même. C’est lui seul qui rend possible d’imposer de telles conditions qui ne peuvent avoir cours sur cette île puisque, justement, l’argent y est inexistant.

— Que me racontes-tu, étranger ? C’est dans l’argent que se trouverait l’origine même de l’intérêt ? Mais c’est impossible, voyons. C’est tout à fait contraire à la…

— Teu, teu, teu… Depuis combien de temps vis-tu sur cette île ?

— Ne m’en parle pas, plus de trente ans.

— Ça se voit mon vieux Robinson, tu en es resté à la théorie de la valeur. Cette affaire-là est enterrée.

— Mais enfin ! Marx lui-même affirmait que seule la force de travail était source de plus-value.

— Quel têtu fais-tu là, Robinson ?! Ta théorie marxiste de la plus-value ou de l’intérêt, appelle là comme bon te semble après tout, ne la défends pas simplement avec des mots, mais par des actes : faisons table rase de nos discussions et de nos accords !

— Ah, que non, par Dieu !

— Écoute-moi bien : tu disposes ici, tu en conviendras, avec ces provisions de vêtements, ton stock de denrées et cet outillage, de tout ce qui, par nature et par définition, représente la forme la plus pure de ce que l’on désigne sous le terme de capital. Allez, vas-y, maintenant : présente-toi à moi en tant que capitaliste avec tes biens…

— Je n’ai pas bougé…

— Toc, toc, Monsieur le capitaliste, j’ai vraiment besoin de toi. Comme tu peux le constater, jamais travailleur ne parut plus nu devant un patron. Et jamais le vrai rapport entre un prêteur de capitaux et un emprunteur sans le sou ne fut visible sous un jour plus transparent.

— Je te l’accorde bien volontiers.

— Maintenant, essaye donc de me soutirer un peu d’intérêt, juste pour voir ! Reprenons nos négociations depuis le début…

— Ah ! Non merci, étranger ! Les nuisibles, la rouille, les forces hostiles de la nature ont rongé ma force de capitaliste en île. Mais, dis-moi, comment expliques-tu que la chose soit différente ici ? Que la théorie de la valeur ne tienne pas ?

— C’est très simple, Robinson. Si, sur cette île, existait une organisation économique faisant usage d’argent, je devrais m’adresser à un prêteur d’argent pour acheter ce que tu viens si gentiment de me prêter sans intérêts.

— Certes…

— Mais le prêteur d’argent, que n’inquiètent ni les rats, ni les mites, ni l’incendie, ni les dégâts d’un toit, n’est pas pressé. Je ne puis donc l’aborder de la même façon. Robinson, tu subis des pertes, car la perte est la rançon de toute possession durable de biens. Avec le temps, tes marchandises peuvent se gâter, se dégrader, disparaître même. Or, cette diminution de quantité ou de qualité, de valeur en somme, n’atteint que celui qui doit conserver des marchandises périssables. À l’opposé, l’argent ne craint pas les dommages du temps, ni les prédateurs, ni les catastrophes naturelles, ni le vieillissement : il ne rouille jamais. Le capitaliste financier ignore les vicissitudes que tu rencontres :les arguments qui t’ont ébranlé le laissent totalement insensible. Tout à l’heure, tu n’as pas fermé le coffre aux vêtements, alors même que je t’ai refusé le paiement du moindre intérêt. La nature fragile de ton capital t’incitait à poursuivre notre discussion, soucieux que tu étais de sa préservation.

— Je te suis jusqu’ici…

— à ta place, le propriétaire d’argent m’aurait immédiatement claqué au nez la porte de son coffre à lui, ce coffre-fort où il range ses deniers, et au moment même où je lui aurai annoncé mes intentions de ne point le rétribuer en intérêts, de lui payer son argent en… argent !

— Évidemment.

— Et puis, tu en conviens, ce n’est pas de monnaie dont j’ai réellement besoin pour me secourir, mais plutôt de tes habits pour me vêtir. Si j’utilisais le prêt d’un banquier pour te les acheter, ces habits me coûteraient beaucoup plus cher. L’intérêt, ce prix de l’argent, je devrai aussi le gagner à la sueur de mon front, ce qui veut dire que je devrai travailler plus longtemps pour payer exactement la même chose.

— Travailler plus pour gagner moins !?

— Exactement, Robinson !

— Tu parles d’une bonne affaire ! Mon esprit est devenu confus, je ne te cache pas que je ne sais plus trop quoi penser. Mais je dois constater que la vie réelle te donne assurément raison puisque nos négociations viennent de le prouver. Pourquoi donc la théorie économique ne se vérifie pas dans la réalité ?

— Parce qu’elle sous-estime depuis toujours l’importance fondamentale de l’argent, le grand nerf central de toute l’économie. Robinson, le capitaliste financier peut attendre sans crainte du lendemain, ou peur de voir sa richesse diminuer : son bon argent, je te l’ai dit, ne rouille jamais. Il retire de cette situation une puissance tout à fait étonnante : celle de pouvoir exiger une rémunération contre les prêts qu’il accorde, des intérêts sonnants et trébuchants. Et ces prêts, dans ton pays, nous ne pourrions nous en passer : toi, pour développer ton activité ; moi pour consommer. Cette puissance extraordinaire, le capitaliste financier la retire de la supériorité de l’argent — le vrai capital, donc — sur toutes les autres marchandises. Voilà pourquoi, dans ton pays, Robinson, le temps c’est vraiment de l’argent. Voilà tout le nœud de l’affaire et de l’économie en général.

— Eh bien ! je crois que je vais désormais rester définitivement sur mon île, étranger !

© 1916 Silvio Gesell pour le texte original, © 1947 Felix Swinne, pour la traduction française et © 2011 John Marcus pour la présente version et son complément.